Le plafonnement des indemnités prud'homales est illégal
On sait les polémiques qui tournent depuis 2017 autour du dispositif destiné à plafonner les indemnités prud’homales accordées en cas de licenciement abusif.
Quoique passablement critiqué, le barème avait été validé par le Conseil Constitutionnel dans une décision du 21 Mars 2018 et s’applique de la sorte à tous les licenciements prononcés depuis le 24 septembre 2017.
Si les contestations manifestées jusque là ont essentiellement été idéologiques et politiques, elles viennent de franchir une nouvelle frontière avec cette fois une concrétisation judiciaire qui met purement et simplement à mal ce dispositif tant décrié.
Au travers d’un jugement du CPH de TROYES du 13 décembre 2018 que nous nous sommes procurés, le Juge prud’homal a estimé contraire aux engagements internationaux de la France le principe même d’un plafonnement des dommages et intérêts qu’une juridiction peut accorder aux salariés victimes d’un licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse.
C’est une première.
Le raisonnement qui a été tenu avait été anticipé par nombre de professionnels du droit (cf. par exemple l’article de Me CHHUM du 25 aout 2018 sur le site Village de la Justice).
L’idée tient à l’inconventionnalité du barème prévu en pratique par l’article L 1235-3 du Code du Travail.
Le raisonnement du Conseil de Prud’hommes est simplement parfait.
Il tient en quelques temps.
Tout d’abord et en fonction de l’article 55 de la Constitution d’octobre 1958, les accords internationaux ratifiés ont une autorité supérieure à la loi.
Il faut ensuite considérer que le Conseil constitutionnel n’est compétent que pour contrôler la conformité des lois à la Constitution alors que le contrôle de conformité des lois aux conventions internationales est du ressort des juridictions ordinaires… donc du Conseil de Prud’hommes naturellement sous contrôle éventuel de la Cour de cassation.
La cour de cassation avait indiqué de très longue date que la Convention n° 158 de l’organisation internationale du travail était directement applicable sur le territoire national alors qu’elle avait été ratifiée par la France en mars 1989.
Il s’avère que l’article 10 de la Convention 158 de l’Organisation internationale du Travail stipule que si les Tribunaux « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié et si compte tenu de la législation et de la pratique nationale ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible, dans les circonstances, d’annuler le licenciement ou d’ordonner et de proposer la réintégration du travailleur, ils doivent être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute forme de réparation considérée comme appropriée ».
L’article 24 de la Charte Sociale Européenne de mai 1996 ratifié en France en mai 1999 stipule encore que « en violation de l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaitre… le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une réparation appropriée.
C’est tellement important que le Conseil d’Etat a jugé que les dispositions de cet article étaient directement invocables devant lui.
Il existe au-delà de ces considérations un Comité européen des droits sociaux chargé de l’interprétation de la charte sociale de mai 1996.
Ce comité a été amené à s’exprimer sur la loi Finlandaise qui fixait un, plafond de 24 mois d’indemnisation.
Le comité a jugé que la loi Finlandaise était contraire à la charte en ce qu’elle limitait le droit à indemnisation.
On ajoutera que la Cour de cassation a reconnu l’applicabilité directe de la Charte.
Ceci a de très nombreuses reprises.
Fort de ces différentes considérations techniques, le Conseil de Prud’hommes de TROYES a estimé que le plafonnement des indemnités prud’homales prévu par les dispositions de l’article L 1235-3 du Code du Travail était fondamentalement illégal en ce qu’il avait introduit un plafonnement limitatif des indemnités ne permettant pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés, le cas échéant injustement licenciés et de réparer de manière juste les préjudices susceptibles d’avoir été subis.
En d’autres termes, le Conseil de prud’hommes a estimé qu’il n’était pas légalement possible en France de limiter son pouvoir d’appréciation dans la fixation de l’indemnisation devant être servie aux salariés.
En demandant somme toute à ce que le pouvoir législatif n’empiète pas sur le pouvoir judiciaire seul habilité à apprécier au cas par cas la réalité d’un préjudice subi consécutivement à un licenciement contesté.
En conséquence de toutes ces considérations, le Conseil de Prud’hommes de TROYES a donc jugé que le barème établi par les nouvelles dispositions adoptées en 2017 était totalement illégal, en pratique inconventionnel, et devait à ce titre être écarté.
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Cette décision est d’une portée considérable.
Elle constitue une première en France et reçoit au demeurant l’appui d’une bonne partie de la doctrine. Par exemple M. Pascal LOKIEC, Professeur à l’Ecole de Droit de la Sorbonne, considère le jugement du Conseil de Prud’hommes comme très pertinent alors que la réforme de 2017 a fixé des niveaux d’indemnité minimaux et maximaux qui laissent peu de marge d’appréciation aux juges dans certaines situations (cf. Article du Monde par Bertrand Bissuel du 14/12/18).
En l’état actuel du droit, si cette décision du Conseil de Prud’hommes devait être confirmée, elle mettrait purement et simplement à néant les réformes Macron en replaçant l’ensemble des salariés français dans la situation dans laquelle ils se situaient préalablement.
Les Conseils de Prud’hommes dans un premier temps, les Cours d’appel dans un second, pourraient ainsi tout à fait retrouver leur pouvoir d’appréciation antérieurement dévolu dans la fixation de l’indemnisation pouvant être accordée aux salariés éventuellement injustement licenciés.
Manifestement, l’idée ne serait pas d’aller systématiquement au déplafonnement mais plutôt de permettre au juge de ne pas être bridé dans un pouvoir qui est en définitive de son seul ressort.
Et à cet égard la position du Conseil de Prud’hommes de TROYES ne peut nous paraitre que parfaitement légitime simplement en ce qu’elle laisse au Juge un pouvoir qui lui est propre.
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