Coronavirus et droit de retrait du salarié
L’actualité malheureuse que nous connaissons dans la région et tout particulièrement dans le département de l’Oise nous amène à préciser les contours du droit de retrait prévu et défini par les dispositions de l’article L 4131-1 du Code du Travail selon lequel :
« Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection.
Il peut se retirer d’une telle situation. L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection ».
L’article L 4131-3 du Code du Travail ajoute que :
« Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleur qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux ».
Ces dispositions récemment appliquées par les salariés en raison de la crise du coronavirus obéissent à des conditions de fond et de forme qui doivent être impérativement respectées faute de quoi le salarié exerçant un droit non reconnu comme légitime ou non mis en œuvre dans des conditions licites pourrait être sanctionné, la sanction pouvant aller jusqu’au licenciement.
Parmi celles-ci, il faut retenir l’obligation faite au salarié d’alerter son employeur ; il s’agit d’un préalable impératif. Les modalités d’alerte ne sont pas précisées par le Code du Travail et en jurisprudence il a été à plusieurs reprises estimé que la forme de l’alerte était libre pourvu que le salarié puisse rapporter la preuve d’avoir bien averti son employeur, entendu comme toute personne qui dispose de l’autorité nécessaire pour prendre la décision adaptée afin de remédier à la situation provoquant l’idée d’un droit de retrait (lettre DRT N° 456).
En pratique, le salarié doit disposer d’un motif raisonnable de considérer que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé.
C’est la reprise du texte applicable.
Il serait très compliqué de donner une définition du motif raisonnable, cette appréciation ressortant en pratique du pouvoir souverain du Juge devant trancher en cas de litige.
Le caractère raisonnable doit être objectif.
Naturellement, le danger présenté doit être grave et imminent et doit concerner la vie ou la santé du salarié qui souhaite exercer son droit de retrait.
Nul doute que le phénomène du coronavirus qui a déjà déclenché des droits de retrait, y compris exercés collectivement (l’œuvre collective est tout à fait possible) pourrait tout à fait, selon les cas de figure, entrer dans les critères posés par la loi pour permettre au salarié de se retirer.
Nous n’avons pas de décision validant la légitimité d’un droit de retrait pour un salarié confronté à un risque de contagion au coronavirus.
Il existe néanmoins des parallèles qui peuvent être faits avec le virus H1N1 qui avait suscité un débat identique à l’époque de sa propagation.
Une circulaire ministérielle du 3 juillet 2009 relative à la pandémie grippale pour les salariés en mission à l’étranger, avait préconisé que « si le salarié était dans une zone à risque et que son employeur ne souhaitait pas le rapatrier malgré sa demande, le salarié pouvait invoquer le droit de retrait si les conditions étaient réunies ».
Il revient en pareil cas à l’employeur ce que la circulaire en question exprimait également, de prendre toutes les dispositions permettant d’assurer la protection du personnel contre les risques.
En ce sens, il a été estimé qu’un droit de retrait préventif pouvait tout à fait être envisagé.
D’ailleurs, et généralement, le droit l’est quasiment systématiquement.
Cette circulaire rapportée au phénomène du coronavirus est parfaitement importante car à la prendre à la lettre, elle permettrait à tous les salariés effectivement susceptibles d’être confrontés au phénomène du coronavirus, de se retirer pour se protéger.
L’affirmation vaut tout particulièrement pour toutes les personnes impactées dans leur métier en raison d’une part de l’importance des fréquentations collectives, par ailleurs de la proximité ou la concentration des foyers encore appelés « cluster ».
En d’autres termes, les salariés habiles à opposer à leur employeur un droit de retrait pourraient essentiellement être ceux résidant ou exerçant leur profession à proximité d’importants foyers de contagion et, cumulativement naturellement, susceptibles d’être mis en relation avec des personnes malades.
Statistiquement, le nombre des salariés concernés dans la région, tout particulièrement et en l’état de la rédaction de cet avis, dans l’Oise, est simplement… colossal.
Attention toutefois aux abus.
Si par principe en fonction de l’article L 4131-3 du Code du Travail, aucune sanction ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur exerçant un droit de retrait, encore faut-il que la jurisprudence qui ne s’est pas encore prononcée ait validé la légitimité du retrait lié au phénomène du coronavirus.
Sachant qu’aucune généralité ne peut être exprimée et que tout, le cas échéant, se ferait ou se fera au cas par cas.
Le salarié dont le retrait serait validé serait complètement sécurisé dans l’exercice de son droit, sachant qu’aucune sanction ne pourrait être prononcée contre lui, tout particulièrement aucune sanction disciplinaire et aucune retenue de salaire.
On ajoutera à la remarque que l’employeur qui ne suivrait pas son salarié s’exposerait à sa propre responsabilité au titre de l’obligation de sécurité de résultat qui incombe sur lui.
A l’inverse, par contre, dans l’hypothèse où le retrait serait considéré comme non légitime, les conséquences pourraient être parfaitement désastreuses pour le ou les salariés ayant exercé pareil droit.
Tout pourrait commencer par une retenue de salaire, même avec un salarié étant resté à disposition, soit pour un autre poste de travail, soit pour du télétravail.
Et pourrait aller jusqu’à la rupture du contrat, y compris pour faute grave en lien avec un abandon de poste caractérisé.
Notre conseil ici, côté employeur comme côté salarié d’ailleurs, pourrait être de demander au Conseil de prud’hommes de trancher la validité d’un droit de retrait avant même que ce dernier n’ait été effectivement exercé.
Ça n’est ni impossible, ni inconcevable et les deux parties au contrat de travail pourraient tout à fait s’entendre pour solliciter l’avis du Conseil de Prud’hommes sur un droit de retrait exercé de façon isolée et ponctuelle.
A défaut d’obtenir préalablement l’avis du Conseil de Prud’hommes, dont on rappellera qu’il est souverain dans son appréciation, la Cour de Cassation refusant d’exercer un contrôle sur cet aspect, il est évident que les avis du Comité Economique et Social (CSE) lorsqu’il en existe un, le cas échéant de la Médecine du Travail, et de l’Inspection du Travail pourraient être bien utilement requis pour éviter toute forme de contentieux et d’insécurité.
Dernière remarque : Les avis exprimés ces derniers jours par le gouvernement quel qu’en soit ses représentants, n’ont aucune valeur.
Ils sont en contradiction avec les textes ci-dessus reproduits et même avec la doctrine de l’ETAT exprimée jusque-là.
Pire, ils sont en contradiction avec les propres actes des Ministères concernés, particulièrement Intérieur et Education qui ont probablement légitimement, fait se fermer les écoles et autres crèches de l’OISE.
Naturellement, le Gouvernement a-t-il probablement raison d’éviter tout vent de panique qui ne serait pas légitime et un droit de retrait de masse exercé au préjudice global de l’économie du pays.
Mais il est clair qu’un salarié effectivement et personnellement confronté à un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé du fait du phénomène du corona virus, pourrait tout à fait faire valider la légitimité de son droit de retrait par le Conseil de Prud’hommes, seul Juge en pratique autorisé à s’exprimer sur l’application d’un texte qu’il est chargé d’appliquer.
Christophe WACQUET
Le 7 mars 2020.
Membre du réseau PRIMAJURIS, réseau d'avocats indépendants choisis pour leur sérieux et répartis sur l'ensemble du territoire.