Locataires insolvables ... mandataire responsable ?
Le propriétaire d’un bien peut, toujours, on le sait, en confier la gestion à un mandataire.
Plusieurs professionnels peuvent dans ce cadre intervenir : notaires, huissiers et agences immobilières lesquelles pour certaines, ont fait de ces prestations une activité essentielle
Ces prestataires ont un coût et il est évident que lorsqu’un particulier confie la gestion de sa maison ou de son appartement à un mandataire, il est en droit d’attendre de lui qu’il soit assez diligent pour lui présenter un locataire idéal : fiable, sérieux et naturellement, solvable.
Que le professionnel chargé de l’administration du bien soit notaire, agent immobilier ou encore représentant d’une société, il a toujours et tout particulièrement, l’obligation de « s’assurer par des vérifications sérieuses de la solvabilité réelle du preneur » (Civ. 1re, 28 mars 1984: Bull. civ. I, no 118).
Il s’agit d’une obligation de moyens, ce qui signifie qu’en cas de litige, le professionnel devra démontrer avoir tout mis en œuvre pour effectuer ces vérifications.
Naturellement, il est des cas où les éventuelles carences du mandataire peuvent engendrer des circonstances catastrophiques, par exemple en matière de non-paiement des loyers.
Que faire si le mandataire n’a pas respecté son obligation et que les loyers demeurent impayés ?
En cas d’insolvabilité du preneur, le propriétaire peut tout à fait engager la responsabilité de son mandataire en ce qu’il avait placé sa confiance en lui et qui de fait aurait dû tout entreprendre pour lui faire éviter toute forme de désagrément.
En effet, les articles 1991 et suivants du Code civil prévoient que l’agence, le cas échéant le notaire ou l’huissier doivent répondre des dommages-intérêts qui pourraient résulter de l’inexécution du mandat, en réalité de son exécution imparfaite et naturellement plus particulièrement, des fautes susceptibles d’avoir été commises par lui dans sa gestion.
Si le mandant (le propriétaire) ne peut demander directement au mandataire de lui verser le montant des loyers, il peut chercher à faire engager sa responsabilité pour lui avoir fait perdre une chance de renoncer à signer un bail avec un preneur solvable.
Le cabinet l’a récemment fait juger …
En l’occurrence, une SCI avait donné mandat de location non exclusif de son bien immobilier à une agence immobilière.
Une location professionnelle à coût élevé.
Cette agence immobilière bien connue dans le secteur amiénois, avait présenté un preneur en le décrivant comme parfaitement fiable.
Il s’agissait pourtant d’une société en formation ne présentant clairement aucune garantie de solvabilité.
Prudente, la SCI propriétaire avait fait insérer au bail, une clause prévoyant que l’immatriculation de la société devrait intervenir à une date précise, sans quoi le bien serait définitivement loué à ses membres fondateurs.
En tout état de cause, le mandataire aurait dû en l’occurrence vérifier non seulement la solvabilité de la SCI, mais également celle de ses créateurs, lesquels avaient dès le départ été identifiés comme possiblement eux-mêmes locataires.
Il est avéré ici que l’agence immobilière mandatée s’est contentée d’une attestation évoquant un capital social de 75 000 euros sans se renseigner plus avant sur la situation personnelle des associés de la SCI.
A la date prévue par la clause visée ci-dessus, l’immatriculation de la société n’avait pas été faite, de sorte que les membres fondateurs sont devenus locataires du bien immobilier.
Les loyers n’ont pas été payés.
La SCI a saisi son juge pour obtenir une condamnation du preneur à bail, laquelle lui a été réservée sans trop de difficulté.
En l’occurrence, au paiement des loyers non réglés en tant que tels, mais également à l’expulsion qui en était la conséquence compte tenu de la clause résolutoire classiquement insérée au bail.
L’huissier mandaté pour procéder à l’exécution de cette décision a été confronté à de multiples échecs, de sorte que le propriétaire dont le cabinet assurait la défense des intérêts n’a jamais pu être réglé, ni par la SCI qui de fait était une coquille vide, ni par ses associés ne disposant en pratique d’aucune couverture financière.
En application des dispositions précitées, assignation a donc été délivrée à l’agence immobilière à qui il était demandé en pratique… de régler les loyers impayés aux lieu et place de la SCI et de ses associés.
Le juge saisi a constaté que le mandataire ne justifiait pas s’être assuré de la réalité du financement de la société en formation ni même de la solvabilité de ses membres fondateurs.
Il a été estimé dans un premier temps par le Tribunal puis par la Cour d’appel d’AMIENS à l’occasion d’un récent arrêt que l’agence immobilière avait fait perdre à la SCI une chance évidente de renoncer à signer un bail avec une société en cours de création dont les associés déclarés ne présentaient aucune garantie de solvabilité.
Au titre de la réparation, la Cour d’appel a condamné le mandataire à verser à la Société demanderesse des dommages et intérêts allant de fait au-delà des loyers impayés, ceci dans la mesure où le préjudice dépassait naturellement cet aspect, notamment parce que le propriétaire défendu par le cabinet avait refusé plusieurs offres qui ne l’aurait pas exposé à pareille difficulté mais également parce qu’il a eu les plus grandes peines du monde à relouer.
Les sommes obtenues ont été de plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Ces cas de figure sont fréquents, et il ne faut jamais hésiter à aller chercher la responsabilité d’un mandataire qui n’aurait pas correctement effectué ses obligations dans ce type de relation.
Il faut rappeler que le professionnel, à qui la gestion d’un bien est confiée, est assuré pour ce qu’il fait.
Il ne faut pas oublier non plus qu’il se fait généralement correctement rémunérer (les rétributions oscillent entre 5 et 10 % du montant des loyers encaissés, outre les frais de baux et d’état des lieux lorsqu’il y a matière).
Il est ainsi parfaitement normal que le notaire, l’huissier ou l’agence immobilière soient tenus eux- mêmes à paiement lorsque le locataire ne paie pas ses loyers, à tout le moins et c’était le cas en l’occurrence quand il y a eu des légèretés blâmables dans la constitution du dossier, lesquelles ici avaient confiné à la faute absolue puisqu’en pratique aucune vérification effective n’avait été sérieusement réalisée.
Christophe WACQUET, le 24 février 2021
Membre du réseau PRIMAJURIS, réseau d'avocats indépendants choisis pour leur sérieux et répartis sur l'ensemble du territoire.